TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE GRENOBLE

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE GRENOBLE

N° 2002117

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M.

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M.Garde

Juge des référés

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Ordonnance du  28 avril 2020 ___________

Vu la procédure suivante :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le président de la 3ème chambre,

statuant en matière de référés

Par une requête et un mémoire enregistrés le 31 mars 2020 et le 27 avril 2020, M. représenté par Me Laumet demande au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l’exécution de la décision du 21 février 2020 du directeur général de la SAS, par laquelle elle lui retire le label « Bio » ;

2°) d’enjoindre au directeur général de la SAS de lui délivrer une

attestation provisoire ;

3 °) de mettre à la charge de la SAS une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

  1. soutient que :
  • l’urgence est établie dès lors que la décision le contraint pendant une période d’au moins un an à vendre sa production comme non certifiée Bio, ce qui le prive de ses points de vente et clients habituels, et diminue sensiblement ses recettes, compromettant son modèle économique ;
  • la décision est prise par une autorité incompétente ;
  • le retrait d’habilitation n’a pas été précédé d’une procédure contradictoire ;
  • la décision n’est pas motivée ;
  • elle comporte une double erreur de droit, eu égard au droit européen et aux termes du

contrat ;

  • elle est entachée d’erreur de fait, ou en tout cas repose sur une incompréhension avec le bureau de contrôle, sa bonne foi ne pouvant être mise en cause.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2020 la SAS par Me conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge du requérant une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 23 avril 2020 le préfet de l’Isère a présenté ses observations et conclut au rejet de la requête.

Vu :

  • la requête n° 2002116 enregistrée le même jour par laquelle M. demande l’annulation de la décision susvisée ; – les autres pièces du dossier.

Vu :

  • le code rural et des pêches maritimes ;
  • le code des relations entre le public et l’administration ;
  • l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables

devant les juridictions de l’ordre administratif ;

  • le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 ; – le code de justice administrative.

La présente ordonnance n’a pas donné lieu à une audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l’intervention du préfet de l’Isère

  1. Eu égard aux missions qui sont les siennes en matière de de protection des populations et de loyauté de la concurrence, le préfet de l’Isère a intérêt au maintien de la décision en litige. Par suite son intervention doit être acceptée.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

2 Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (…) » et aux termes de l’article L. 522-1 dudit code : « Le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale. (…) ». Enfin aux termes du premier alinéa de l’article R. 522-1 dudit code : « La requête visant au prononcé de mesures d’urgence doit (…) justifier de l’urgence de l’affaire ».

  1. Il résulte de ces dispositions que l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue.
  2. Aux termes de l’article L 642-7 du code rural et des pêches maritimes : « Le contrôle du respect du cahier des charges d’un produit bénéficiant d’un signe d’identification de la qualité et de l’origine est effectué, sur la base du plan de contrôle ou d’inspection approuvé, par un organisme tiers offrant des garanties de compétence, d’impartialité et d’indépendance agréé dans les conditions prévues par la présente section, pour le compte ou sous l’autorité de l’Institut national de l’origine et de la qualité. »
  3. La décision en litige du 21 février 2020 a été prise par la SAS, chargée en l’espèce d’une mission de service public dans le cadre de l’article cité au point précédent.
  4. Cette décision a pour objet et pour effet de priver le requérant de la possibilité de mentionner une certification « Bio » pour tous les produits de son exploitation. Elle est intervenue sur recours préalable de M. contre une décision ayant le même objet en date du 29 janvier 2020. Ce recours préalable a, en raison du terme du contrat passé entre les parties, un caractère obligatoire. Une décision prise sur un recours administratif préalable obligatoire se substitue nécessairement à la décision initiale, alors même que la présentation d’un tel recours est imposée par une stipulation contractuelle et non par une disposition législative ou réglementaire.
  5. Il résulte de l’instruction que la décision attaquée, qui prive le requérant de la certification « Bio », lui ôte la possibilité de vendre ses produits à ses clients habituels et aux prix plus élevés que permet ce type de commercialisation, et qu’il ne pourra pas demander de nouvelle certification pendant une durée d’une année. Elle a pour conséquence de l’amener à rechercher de nouveaux clients pour vendre sa production, et à des prix moins rémunérateurs. Ainsi, cette décision bouleverse les paramètres économiques de son exploitation agricole et en menace la pérennité. Par suite, le requérant établit l’urgence, au sens de l’article cité au point 2, de la suspension qu’il demande.
  6. Aux termes de l’article L 211-2 du code des relations entre le public et l’administration : « Les personnes physiques ou morales ont le droit d’être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : ( ..) 2° Infligent une sanction ; ( … ) 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; ( …) 6° Refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir ;

( …) 8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d’une disposition législative ou réglementaire. «

  1. Le moyen tiré du défaut de motivation de la décision du 21 février 2020, qui s’est entièrement substituée comme il a été dit au point 6 à la décision du 29 janvier 2020, est de nature, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision en litige. Par suite il y a lieu d’en suspendre l’exécution.
  2. Aux termes de l’article L 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. »
  3. La suspension prononcée au point 9 implique nécessairement que la SAS restitue à M. la certification « Bio » dont il a été privé par la décision en litige, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

  1. Il résulte des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, ou pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation.
  2. Ces dispositions font obstacle aux conclusions dirigées contre M. qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la SAS une somme de 1 000 euros à verser à M.

ORDONNE :

Article 1er : L’intervention du préfet de l’Isère est acceptée.

Article 2 : L’exécution de la décision du 21 février 2020 de la SAS est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint à la SAS de restituer à M. la certification « Bio » dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 4 : La SAS versera à M. 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à Me Laumet et à Me en application de l’article 13 de l’ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020 et au préfet de l’Isère.

Fait à Grenoble, le 28 avril 2020.

Le juge des référés,

F. Garde

La République mande et ordonne au préfet de l’Isère en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.